Négocier le tracé (1990-1991)
Négocier le tracé. La place des mobilisations associatives autour de la contestation du périphérique nord (1990-1991)
Le 2 novembre 1989, un épisode symbolique entame la controverse autour du projet du périphérique nord lyonnais tout en mettant en lumière la vision commune que portent Michel Noir et Charles Hernu sur l’ouvrage : ils effectuent, dans l’après-midi, un survol de l’agglomération en hélicoptère pour passer en revue le tracé du périphérique. Celui-ci doit venir parachever la Cité internationale d’une part, alors en construction depuis le milieu des années 1980, et le technopôle de la Doua, d’autre part, en leur offrant des voies d’accès privilégiées. L’épisode est intéressant en ce qu’il montre, à la fois, la convergence des deux hommes sur des projets d’aménagement considérés comme très personnels et symboliques, certains de leurs opposants y voyant même le signe d’une forme de mégalomanie (une tour de 160 mètres de haut doit être construite à la Cité internationale, le futur technopôle villeurbannais doit aussi en accueillir une), mais également parce qu’il exclut de fait d’autres acteurs intéressés par le tracé, au premier rang desquels, Bernard Roger-Dalbert, maire de Caluire-et-Cuire. Celui-ci leur reproche d’avoir été exclu des pourparlers et plus largement, critique le manque de concertation et de prise en compte du point de vue des riverains qui renforce d’autant plus le caractère opaque de l’opération.
Fig. 5 – Survol en hélicoptère de l’agglomération lyonnaise le 2 novembre 1989 (Archives municipales de Villeurbanne, 28Z3). De gauche à droite : Nathalie Gautier, Charles Hernu et Michel Noir
L’opération est jugée opaque et peu démocratique par de nombreux autres acteurs, à Caluire-et-Cuire notamment, où un nombre d’opposants tentent de se structurer à travers diverses associations. C’est en particulier le Comité d’intérêt de rénovation et d’animation du secteur Saint-Clair (CIRA) qui prend la tête de cette opposition, à travers la voix de sa porte-parole, Annette Vincent-Viry. A Caluire-et-Cuire, c’est en premier lieu le quartier de Saint-Clair, situé sur la rive droite du Rhône qui doit être touché par les aménagements liés à la construction du périphérique nord : le tunnel sous la commune qui doit relier le quartier de Vaise (à l’ouest de Lyon) et Caluire-et-Cuire débouche sur une tranchée ouverte au niveau du pont Poincaré (cf. Fig. 1). Les habitants du quartier Saint-Clair s’inquiètent ainsi des nuisances à venir puisque les estimations préalables réalisées par la COURLY oscillent entre 45 000 et 75 000 véhicules par jour.
Ainsi, la controverse entamée à Caluire-et-Cuire touche particulièrement au point sensible de la tranchée ouverte située au croisement du pont Poincaré et de la Grande-Rue de Saint-Clair : pour les opposants au périphérique nord, le tunnel pourrait débouché plus en amont et enjamber le Rhône en lieu et place du pont Poincaré. En témoigne ce croquis (cf. Fig. 5) réalisé par un pétitionnaire caluirard, se déclarant étudiant à l’INSA : le projet détaille toute une série d’installations annexes (murs anti-phoniques, aménagements destinés à invisibiliser certaines parties de la construction, etc.).
Fig. 6 – Croquis de tracé alternatif du périphérique nord lyonnais réalisé par un élève de l’INSA (AMétro, 2377W022)
Contrairement à Caluire-et-Cuire, le terrain villeurbannais voit se structurer un mouvement d’opposition autour de diverses associations plus ou moins formelles. Le 19 février 1990, celles-ci se rassemblent au sein du collectif « La Feyssine » qui a vocation a faire front commun, à la fois contre le périphérique nord mais également pour la défense du quartier de la Feyssine et de ses espaces naturels. Ce premier temps de structuration des opposants au projet du périphérique nord émerge à l’initiative de différents acteurs : les habitants de la Feyssine, premiers intéressés car menacés d’expropriation, les militants écologistes et, en particulier, ceux de l’association VVV, particulièrement active sur ce dossier de la Feyssine.
Comités de quartiers | Mouvements politiques | Associations |
Comité des habitants de Croix-Luizet | Pour une écologie sociale | Vivre Vert Villeurbanne |
Comité de quartier Charpennes-Tonkin | Ecologie et autogestion | Sauvons la Feyssine |
Comité d’intérêt local Jules Guesde-Cyprian |
Fig. 7 – Membres du collectif La Feyssine lors de sa création le 19 février 1990
Dans l’extrait suivant, Jean-Claude Pagan, ancien habitant du quartier de la Feyssine dans les années 1990 et jusqu’à au début des années 2010, revient sur le contexte du début de l’année 1990 et le moment de structuration des associations et structures qui se créent pour défendre la Feyssine et s’opposer au projet du périphérique nord.
Pour les opposants villeurbannais au périphérique nord, il y a une véritable situation d’inégalité spatiale dans la façon d’appréhender les différents territoires qu’il doit traverser. Celle-ci se lit également dans la chronologie et le développement du projet de « bouclage du périphérique lyonnais » qui se dessine d’est en ouest (voir : Intermède – Boucler le périphérique lyonnais) : bien que conflictuel pour chacune de ses portions, les résistances comme les réticences les plus grandes se situent à l’ouest et constituent encore aujourd’hui un point de blocage politique majeur. Ainsi, au début de l’année 1991, les habitants de la Feyssine dénoncent une inégalité de traitement des différentes communes concernées : « Les quartiers de l’ouest ont un périphérique en souterrain qui préservera leur habitat et leur golf, tandis que ceux de l’est n’ont pas droit aux mêmes égard. Pourquoi pas un tunnel sous la Feyssine ? » Bien qu’avancée sur le ton de l’humour, l’idée d’un tunnel sous la Feyssine traduit également la façon dont les inégalités spatiales et environnementales qui émaillent ce projet se lisent avant tout à travers les paysages qui en restituent les nuisances multiples (pollution atmosphérique, destruction d’espaces naturels) et leurs violences associées (bruit de fond quotidien, impact visuel, coupure du territoire).