Fumée(s)

Fumée(s)

Illustration : AD Rhône, 1956W3, photographie illustrant un article de presse (journal non identifié et non daté, 1980 ?)

Le ciel de Lyon et de son agglomération s’est progressivement transformé depuis les années 1970. La fumée visible n’est plus nécessairement le meilleur indicateur de la pollution de l’atmosphère dont la nature a évolué : actuellement, les gaz d’échappement des automobiles en sont parmi les principaux responsables. Des panaches noires, accidentels et exceptionnels, sortant de la raffinerie de Feyzin et la fumée blanche des deux grands incinérateurs de déchets de la métropole, voire celle des tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire du Bugey, ont remplacé la multitude de fumées noires ou grises sortant des cheminées d’usine.
La lutte contre la pollution de l’air a pourtant bien commencé avec l’alerte donné par les panaches noirâtres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ceux-ci n’étaient d’ailleurs pas limités aux établissements industriels privés – teintureries – ou publics – manufacture des tabacs. Les grands équipements collectifs : hôtel-Dieu, lycée Ampère, hôtel des Postes, y contribuaient. Des arrêtés municipaux (1905, 1929) enjoignaient les industriels à éviter la production de fumées « noires, épaisses et prolongées », mais c’est surtout une action de persuasion qui fut menée par les services de la ville. Ces derniers se plaignaient d’ailleurs de l’inadéquation de leur terrain d’action : que faire face aux fumées de Saint-Fons ou de Vénissieux ?
Après une curieuse enquête sur les « brouillards et fumées » de l’agglomération, dans les années 1930, ce sont les fumées émises par les chaudières d’immeubles collectives, consommant du charbon ou du mazout, qui devinrent une cible pour l’action publique, coordonnée par le bureau municipal d’hygiène au cœur des Trente glorieuses, dans une ville centre en voie de désindustrialisation.
Dans les années 1960-1970, les plaintes contre les odeurs et les fumées sont toujours recueillies, à l’échelle des mairies ou par le service des établissements classés du Rhône. Un réseau de postes de mesures du dioxyde de soufre (SO2) et des poussières est installé dans l’agglomération et autour de Givors, par des établissements tels que la raffinerie de Feyzin et la centrale thermique de Loire-sur-Rhône. Les besoins énergétiques de la France moderne – électricité et carburant – ainsi que l’entrée dans l’âge du plastique, ont disséminé quelques milliers de tonnes de produits dans l’environnement lyonnais, via les cheminées de ces gros équipements industriels. Et les cheminées sont aujourd’hui une espèce en voie de raréfaction, tantôt signe d’un passé polluant à oublier pour mieux faire la ville écologique (et de l’économie de services) défendue par les élus voire les promoteurs immobiliers, tantôt choyée comme un témoignage du patrimoine industriel d’une ère révolue.

Premier rédacteur : Stéphane Frioux

 

Références

Pour aller plus loin… Références au sujet des fumées lyonnaises

• Stéphane Frioux, « La pollution de l’air, un mal nécessaire ? La gestion du problème durant les « Trente Pollueuses » », dans Céline Pessis, Sezin Topçu et Christophe Bonneuil (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après guerre, Paris, La découverte, 2013, p. 99-115.

• Stéphane Frioux, « Problème global, action locale : les difficultés de la lutte contre les fumées industrielles à Lyon (1900-1960) », dans Michel Letté et Thomas Le Roux (dir.), Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit XVIIIe-XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 317-333.

Sur les significations contemporaines de la cheminée d’usine en contexte urbain :

• Vincent Veschambre, « La cheminée d’usine, entre totem et tabou : effacement versus appropriation d’un symbole du passé industriel», L’Homme et la Société, vol. 192, n° 2014/2, p. 49 68.