L’Ă©tude de cette lettre se retrouve dans le chapitre de l’ouvrage consacrĂ© aux pratiques de la dĂ©moustication dans la ville de Lyon.

La lettre est conservĂ©e dans les archives de l’Entente interdĂ©partementale pour la dĂ©moustication RhĂŽne-Alpes, Ă  Chindrieux.

Elle offre une illustration particuliĂšrement Ă©clatante de la maniĂšre dont l’usage d’insecticides, dans la lutte contre les moustiques, donne naissance Ă  une critique environnementaliste au coeur des annĂ©es soixante. A premiĂšre vue, l’auteur se prĂ©sente simplement comme un habitant de Odenas, village rural du RhĂŽne. A ce titre, son propos rĂ©active une critique ancienne de la vie urbaine : la ville serait Ă  la fois un vecteur de dĂ©gradation de la santĂ© et des mƓurs. Cette critique anti-moderniste fonde alors le sentiment d’immoralitĂ© de l’usage croissant des insecticides. Le propos dĂ©passe toutefois la simple rĂ©affirmation d’une « urbaphobie » anti-moderniste. Albert Viennois exerce en effet la profession d’horticulteur[1]. Sa prĂ©occupation pour les effets dĂ©lĂ©tĂšres des toxiques s’ancre ainsi probablement dans son travail, expliquant les citations des diffĂ©rents ouvrages d’alertes environnementales, ou encore la publication pionniĂšre de l’alimentation biologique La Vie Claire[2]. Enfin, la contestation de la lutte chimique contre les moustiques devient finalement le vĂ©hicule d’une vive critique de la mutation urbaine lyonnaise de l’aprĂšs-guerre.

[1] Archives municipales Odenas. Acte de décÚs de Mr Albert Viennois, 12 août 1977.

[2] Sur les prĂ©mices de l’agriculture biologique, voir CĂ©line Pessis, DĂ©fendre la terre. Scientifiques critiques et mobilisations environnementales des annĂ©es 1940 aux annĂ©es 1970, ThĂšse d’histoire, EHESS, 2019, p. 328 et s. ; Christine CĂ©sar, « Les mĂ©tamorphoses des idĂ©ologues de l’agriculture biologique. La voix de La Vie Claire (1946-1981) », Écologie & politique, 27/1, 2003, p. 193-206.

 

Note de présentation du document : Renaud Bécot

 

 

 

Lettre de Viennois A., le 9 juin 1966

 

Odenas, le 9 juin 1966

 

Lettre adressĂ©e Ă  Joseph Riss, directeur administratif de l’EID, et au journal le ProgrĂšs

 

Monsieur,

Voyant par la presse votre rĂ©union de demain, j’ai l’honneur de soumettre Ă  votre bienveillante attention les faits et dangers de l’emploi massif d’insecticides de synthĂšses et leur funestes consĂ©quences absolument ignorĂ©es des services officiels. Reste Ă  votre entiĂšre disposition.

 

Mr le Rédacteur en chef,

Voyant par votre journal et la presse de e jour les nombreux malaises (1 mortel) dont ont Ă©tĂ© victimes hier les automobilistes et piĂ©tons de Lyon, mĂȘme pour des jeunes de 27 ans ou adultes de 40 ans, 59 ans, etc. 71, 77 ans, j’estme que la faible chaleur de ce dĂ©but Juin n’est pas seule en cause ou d’une façon indirecte comme suit.

En effet, bien que simple français moyen, j’ai Ă©tĂ© Ă  Londres, Paris, Bruxelles, Hambourg, GenĂšve, Turin, Padoue, Ravenne et autres villes de France ou Ă©trangers, or toutes ces villes ont leurs rues, avenues, etc
 heureusement inodores !!! mais il n’en est pas de mĂȘme pour Lyon oĂč en 1960 et 1964 surtout, le maire a fait passer des poudreuses Amboile-Chimie, plus des hĂ©licoptĂšres pour nous asperger d’une poudre homicide par dizaines de tonnes (plus de 200 tonnes de DDT!!!, HCH, Lindane, Aldrin, etc) en violation flagrante des lois Ă©lĂ©mentaires de santĂ© publique, code civil, droit de propriĂ©té  et de simple bon sens!!! Car il ne viendrait pas Ă  l’esprit du plus fou des milliers d’internĂ©s du Vinatier de faire poudrer ses semblables (en les obligeant Ă  payer pour cela!!!) comme des doryphores et avec les mĂȘmes poudres mortelles Ă  doses centuples sur nos terres nourriciĂšres, ainsi dĂ©finitivement empoisonnĂ©es (vu trĂšs grande persistance de l’action toxique : isomĂšre gamma = idem a X
 pour traitement des bois = durĂ©e centaines d’annĂ©es !!!, voir La vie claire du 21/9/54, Danse avec le diable, Printemps silencieux). Pour profit de 2 ou 3 trusts chimiques et capitaux Ă©trangers !!! et mort lente des Populations, comme il faut trouver un prĂ©texte (aprĂšs des millĂ©naires de vie saine, et sol idem), on dit que c’est contre les moustiques, mais cela tue aussi les abeilles, oiseaux, animaux, mĂȘme moutons, chevaux, et beurre, lait, fromages immangeables et nocifs vu poudrage, pĂąturages les plus fertiles des berges de SaĂŽne, Rhone, Etc


Donc depuis quelques annĂ©es, Lyon est devenue LA SEULE VILLE QUE JE CONNAIS QUI PUE LE LINDANE, DDT ou HCH, en Ă©tĂ© surtout et partout, surtout Ă  toutes les bouches d’égouts !!! toujours Ă©coeurante odeur d’insecticide !!! dans toute la ville et environs !!! (7000 hectares poudrĂ©s en 1960 !!!). Cela devient en plus un poison moral que chaque bouche d’égout vous remĂ©more, surtout pour un habitant de campagne qui comme moi ou d’autres reviennent toujours de Lyon avec un fort mal de tĂȘte (1-2 jours) chaque fois qu’ils vont Ă  Lyon (inexistant jadis) surtout en Ă©tĂ© = chaleur qui provoque le dĂ©gagement des Ă©manations de ces insecticides qui agissent par leur vapeurs, mĂȘme aprĂšs plusieurs annĂ©es (si un Ă©chantillon d’herbe, prĂ©levĂ© Ă  Grigny devant tĂ©moins, il empeste mon bureau et dossier comme au premier jour Ă  l’automne 1960 !!! bien qu’un gramme dans papier d’alu !!! Des pommes sont maintenant ici empestantes, bien que jamais traitĂ©es, mais par seule proximitĂ© de vignobles traitĂ©s au DDT il y a 10 ans de cela pourtant !!! n’étant plus employĂ© actuellement !!! ici : a provoquĂ© pullulement des divers acariens !!! araignĂ©es rouges : totalement inconnes auparavant !!!

Comme chaque adulte respire et ‘’filtre’’ par jour 15000 litres d’air vital, il purifie !!! en retenant, accumulant et concentrant dans SES POUMONS Ă  37° ces vapeurs-Ă©manations qui sont prĂ©cisĂ©ment solubles dans les graisses (internes) sang, huiles, etc
 et ce d’autant plus qu’une tempĂ©rature ambiante de printemps ou Ă©tĂ© en a dĂ©jĂ  accru la volatilisation dans l’indispensable air vital que nous respiront : en provoquant ces malaises chez piĂ©tons, automobilistes ou usagers (tel spontanĂ©ment signalĂ© Ă  moi Ă  roseraie Parc le 4/6) et des malaises Ă  Lyon en 1964-65, j’ignore encore la cause de mĂȘmes malaises signalĂ© par la Presse le 27 septembre 1964, Ă  300 personnes d’Estressin : annĂ©e de poudrage !!! et toujours AUCUNE RÉPONSE Ă  ce jour (depuis 1960) !!! d’aucun service officiels, bureau d’hygiĂšne, Direction santĂ© du Rhone, prĂ©sident ou syndicat Ă  vocation multiple, prĂ©sident conseil ordre des mĂ©decins du Rhone, acadĂ©mie nationale de mĂ©decine, facultĂ© de lyon, ministĂšre de la santĂ© publique, etc
 prĂ©fecture, mairie centrale, malgrĂ© les demandes d’audience, tĂ©lĂ©grammes, Ă©chantillons d’aliments, d’herbe, poudrĂ©e ; lettres recommandĂ©es avec avis de rĂ©ception : 2 non retournĂ©, etc.

En un mot non seulement tous ces services officiels ne protĂšgent absolument pas ce qu’ils ont pour mission de faire : NOTRE SANTE, mais autorisent de l’insecticide Ă  doryphore dans pĂątes alimentaires !!! (du lindane) idem pour les semences de blé !!! etc


Et un comble : la loi que je prĂ©voyais dans la lettre adressĂ© au Ministre de la SantĂ© publique (lettre recommandĂ©e avec avis de rĂ©ception) restĂ©e Ă  ce jour sans rĂ©ponse !!! malgrĂ© multiples envois de photocopies !!! est maintenant votĂ© Ă  l’unanimitĂ© avec 85% de subvention du gouvernement pour violer propriĂ©tĂ© privĂ© = terrains Ă  culture et les empoisonner dĂ©finitivement et donc lĂ©galement !!! maintenant (loi du 12/11/64) sans commentaire !!! ai dossier Ă  votre disposition : quand on sait ce qui s’est passĂ© en 1960 illĂ©galement !!! sur 7000 hectares du Rhone, Ain, IsĂšre !!! et maintenant Savoie !!! et son eau pure !!! paturages !!! La propriĂ©tĂ© de Collonges de Mme Bonnet (Ăąge moyen, mince, active, bonne santĂ©) a Ă©tĂ© poudrĂ©e en 1964, elle vivait de son jardin, basse cour et lapins, elle n’osait Ă  peine donner l’herbe Ă  ces derniers : elle a Ă©tĂ© dĂ©couverte morte chez elle peu aprĂšs : dĂ©but 1965 !

En 1960 je titrais : le plus grand scandale du SiĂšcle. Un super crime contre la santĂ© publique et l’humanitĂ©. Un assassinat gĂ©nĂ©ralisĂ©. On vous oblige Ă  payer pour vous empoisonner. Une aberration dĂ©jĂ  constatĂ© et ridiculisĂ©e par notre Lafontaine : l’ours et le pavĂ©.

Ayant protestĂ© dĂšs 1928 contre l’introduction (dĂ©jĂ  des USA) du plomb tĂ©traĂ©thylĂšne dans notre essence !!! (interdit en Suisse) et indiquĂ© dĂšs 1951 au Professeur Olivier, chargĂ© de l’enquĂȘte, la cause (pesticide) de l’empoisonnement du pain de Pt St Esprit (alors que la presse et spĂ©cialistes accusait l’ergot de seigle !!!). pas eu de rĂ©ponse !!! les experts et contre-experts ont mis 9 ans Ă  le confirmer !!! je reste Ă  votre disposition, preuves en mains, sur la rĂ©alitĂ© de ces tristes faits et vous prie d’agrĂ©er, Monsieur, mes meilleures salutations.

Viennois A.

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