
« L’affaire de la Feyssine ». Les enjeux politiques d’une question environnementale (1991-1992)
Le dĂ©but de l’annĂ©e 1991 est marquĂ© par l’ouverture de l’enquĂŞte publique sur le projet du pĂ©riphĂ©rique nord. Les mĂ©dias Ă©voquent alors plus d’un millier de contributions dans les communes concernĂ©es et en particulier, Ă Caluire-et-Cuire et Ă Villeurbanne. Pour Annette Vincent-Viry du CIRA, ce sont les « problèmes d’environnement qui ont fait se soulever des riverains touchĂ©s et les associations de protection de la nature ».
Ce nouveau moment de mobilisation pour les opposants au pĂ©riphĂ©rique nord constitue aussi une opportunitĂ© politique pour d’autres acteurs qui s’investissent sur la question en la saisissant comme un enjeu politique dans l’optique des Ă©chĂ©ances Ă©lectorales de 1993 (Ă©lections lĂ©gislatives) et 1995 (Ă©lections municipales). Marc Fraysse, alors conseiller rĂ©gional RPR en 1991, s’investit sur ce terrain au dĂ©but de l’annĂ©e 1991. Pour les mĂ©dias locaux comme pour les associations mobilisĂ©es, son irruption ne fait pas vraiment de doute sur ses intentions : dĂ©jĂ prĂ©sentĂ© en DĂ©cembre 1989 comme motivĂ© par « le Villeurbanne de 1995 », il dĂ©peint alors la Feyssine comme un futur quartier vitrine pour la commune, « à l’image du quartier de La DĂ©fense Ă Paris », reprenant ainsi l’idĂ©e de « Villa Urbana » dĂ©fendue par Charles Hernu.
Le 8 fĂ©vrier 1991, il dĂ©pose, dans le cadre de l’enquĂŞte publique prĂ©alable du projet du pĂ©riphĂ©rique nord, une proposition alternative Ă la mairie de Villeurbanne. Son objectif est de « protĂ©ger les habitations et les entreprises feyssinoises, [ainsi que] l’intĂ©rĂŞt Ă©cologique du site ». Durant le mois de fĂ©vrier 1991, il organise plusieurs rĂ©unions publiques pour faire connaĂ®tre sa position. Il invite les Feyssinois Ă se rĂ©signer, affirmant que le pĂ©riphĂ©rique se fera, peu importe les formes d’opposition au projet. Ceci fait dire Ă Dominique Tillier, membre de VVV, que malgrĂ© une opposition de façade Ă la position de Michel Noir (puisque Marc Fraysse s’oppose au tracĂ© tel que dĂ©fini par Charles Hernu et Michel Noir Ă la fin de l’annĂ©e 1989), son tracĂ© alternatif n’a pas de portĂ©e vĂ©ritablement critique et « entĂ©rine en fin de compte le projet gĂ©nĂ©ral du pĂ©riphĂ©rique nord ».
Si les mĂ©dias locaux affirment que Marc Fraysse a contribuĂ© Ă diviser localement les opposants au projet du pĂ©riphĂ©rique nord, les premiers intĂ©ressĂ©s livrent d’autres explications. De leur point de vue, les divisions entre les opposants tiennent davantage aux motivations qui les conduisent Ă se mobiliser : pour les habitants de la Feyssine, l’objectif premier est très clair et consiste avant tout Ă protĂ©ger leur quartier et leur maison. Pour les militants Ă©cologistes, les motivations sont plus complexes et imbriquĂ©es : au sein de VVV, les militants voient ainsi un intĂ©rĂŞt commun entre les habitants de la Feyssine Ă dĂ©fendre des espaces naturels qu’ils estiment particulièrement prĂ©cieux, bien que pour des raisons diffĂ©rentes. Jean-Claude Pagan livre ainsi son point de vue au sujet de ces reprĂ©sentations diffĂ©rentes de la Feyssine et les motivations qui poussent chacun des acteurs Ă se mobiliser pour leur dĂ©fense.
Enfin, certains militants Ă©cologistes voient dans la Feyssine un cas particulier et proposent, dans une dĂ©marche mĂ©tonymique, d’en faire un enjeu politique susceptible de mobiliser et d’offrir l’opportunitĂ© d’un combat concret pour recueillir une attention mĂ©diatique et donner ainsi une plus grande audience aux arguments Ă©cologistes encore largement minoritaires et mĂ©connus. Ces vues politiques, voire politiciennes pour certains militants de VVV, ont contribuĂ© Ă aviver les tensions entre les diffĂ©rentes structures mobilisĂ©es contre le pĂ©riphĂ©rique nord et ont particulièrement lassĂ© les habitants de la Feyssine. Ceux-ci constatent ainsi que se sont avant tout les espaces naturels qui intĂ©ressent les Ă©cologistes et non tant leur devenir et leur possible expropriation. Ce sentiment de dĂ©possession de leur propre territoire apparaĂ®t avec d’autant plus d’acuitĂ© Ă l’approche des Ă©chĂ©ances Ă©lectorales qui sont l’occasion pour certaines figures nationales de l’Ă©cologie politique de dĂ©placements : ainsi, en 1993, Antoine Waechter se rend Ă la Feyssine pour s’associer au combat des militants Ă©cologistes pour la protection de ses espaces naturels. Entre intĂ©rĂŞt politique ou politicien, divergence de points de vue sur les prioritĂ©s et les reprĂ©sentations du territoire que constitue la Feyssine, ce sont d’abord des tensions internes aux opposants au pĂ©riphĂ©rique nord qui ont contribuĂ© Ă diviser les rangs. Jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 2000, l’association VVV reste nĂ©anmoins mobilisĂ©e pour dĂ©fendre un projet de parc naturel urbain destinĂ© Ă protĂ©ger le territoire et ses espaces naturels, malgrĂ© l’impression traduite par certains habitants de la Feyssine, jugeant qu’il aurait pu en ĂŞtre autrement « si seulement on s’intĂ©ressait Ă nous autant qu’aux castors et aux orchidĂ©es ».