Densité, densification
En une quarantaine d’année, un retournement spectaculaire s’est opéré en ce qui concerne les politiques d’urbanisme, et les discours publics à leur égard. Tandis que les années 2010 ont été celles de la densification, notamment de l’agglomération lyonnaise où les documents d’urbanisme ont prévu 100 000 habitants de plus au sein de l’enceinte du boulevard périphérique d’ici 2035 (donc essentiellement Lyon et Villeurbanne), afin de limiter l’étalement urbain, les années 1970 ont été celles d’un desserrement assumé dans un contexte où l’environnement rimait avec dé-densification. Ce sont celles où le coeur des agglomérations perd de la population, au profit des communes de la périurbanisation.
L’entassement dans les villes avait évidemment été dénoncé bien plus tôt. Les hygiénistes et enquêteurs sociaux du XIXe siècle s’intéressaient surtout aux conditions de logement et à leur surpeuplement. Des essayistes comme Lewis Mumford, dans le deuxième tiers du XXe siècle, ont contribué à propager une image noire de la ville industrielle. Au tournant des années 1960-1970, la littérature d’alerte environnementale déplore la concentration dans des villes de plus en plus grandes. L’agglomération parisienne fait figure de repoussoir en France ; à échelle plus locale, les grands ensembles le sont aussi. On parle de « Sarcellite ».
Le premier titulaire du ministère de la protection de la nature et de l’environnement, Robert Poujade, multiplie les prises de position pour rassurer ses lecteurs ou son auditoire :
– par exemple, lors de la conférence internationale de Stockholm, « Le reproche majeur adressé à nos villes, c’est l’entassement. Bien des nuisances ne sont que le résultat de la promiscuité et les citadins, même si la surface de leur appartement est convenable, souffrent d’un manque d’espaces de loisirs, d’espaces « gratuits » librement accessibles, et de l’encombrement généralisé. A travers le monde, le problème de la taille et de la densité des agglomérations est au cœur du débat sur la qualité de la vie. Les problèmes fonciers demeurent difficiles. La France, pour sa part, a entrepris dans le domaine des aires métropolitaines et de la conception des villes nouvelles, des expériences auxquelles nous attachons de grands espoirs ».
Robert Poujade, Stockholm, 7 juin 1972
ou encore :
« L’espace est en effet ressenti d’abord en tant que tel, c’est-à-dire comme espace libre et disponible pour tous, notamment en ville : une enquête d’opinion récente a montré que les concentrations urbaines importantes, les densités excessives de nombreuses réalisations récentes provoquant chez leurs occupants un sentiment d’asphyxie. Il faut en tenir compte désormais lorsqu’on bâtit du neuf, et particulièrement dans les villes nouvelles.
Mais les villes actuelles ne doivent pas être abandonnées à une évolution qui conduit progressivement leurs habitants à les considérer comme inhabitables ; il faut arrêter leur densification générale, il faut non seulement réserver, mais aussi créer ou aménager effectivement les espaces livres, les espaces verts, les forêts péri-urbaines qui, dans les deux sens du mot, aéreront les villes ».
Robert Poujade, 9 novembre 1971
Références :
plaquette « Deux années d’environnement » éditée par le ministère en décembre 1972, consulté aux Archives départementales du Rhône, 2117W6.
Philippe Saint Marc, Socialisation de la nature, Paris, Stock, 1975 [1971] (7e édition, mise au jour au 1er juin 1975),