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La publicisation des eaux. Rationalité et politique dans la gestion de l’eau en France (1964-2003)

La thèse porte sur les transformations des politiques de l'eau en France durant les quatre dernières décennies, au niveau central et local. Elle vise à comprendre les difficultés de mise-en-œuvre de ces politiques et, plus précisément, les obstacles qui s'opposent aux tentatives de rationalisation de l'action publique dans ce domaine. Il s'agit en particulier d'expliquer la faible prise en compte dans l'organisation administrative du principe d'unicité de l'eau. Posée dès la loi du 16 décembre 1964, au fondement de la politique de l'eau en France, cette notion d'évidence est depuis régulièrement réaffirmée, notamment dans la loi du 3 janvier 1992 venant réorganiser ce secteur. Cependant, elle ne connaît encore qu'une application partielle et limitée, face à une structure bureaucratique qui ignore en grande partie la logique hydraulique.

La thèse propose des éléments de réponse à cette énigme en mettant en avant la dimension proprement politique des activités de rationalisation et en explorant les conséquences liées sur le changement dans l'action publique. Le cadre d'analyse associe à cette fin des outils conceptuels relevant de deux champs disciplinaires différents, la science politique (au travers des notions de catégories et de réseaux d'action publique) et la sociologie des sciences (en mobilisant les concepts d'inscription et d'instruments de visualisation).

Plusieurs sites de recherche sont explorés sur des périodes de temps longues (une à plusieurs décennies) : le niveau de l'administration et du gouvernement central, pour étudier la génése de la loi du 3 janvier 1992 et du projet politique qui la porte ; le niveau local, afin de suivre les transformations concrètes de l'action publique autour des rivières (Bouches-du-Rhône, Drôme et Pas-de-Calais).

La thèse avance le concept de publicisation pour rendre compte du processus de rationalisation à l'œuvre sans effacer sa dimension politique. Nous désignons par ce mot, la production et la diffusion de catégories permettant d'agir collectivement sur un objet d'intervention publique (l'« eau » ou les phénomènes liés : inondations, pollutions, pénuries). La thèse montre que la transformation des politiques peut se modéliser comme le résultat de ce processus de publicisation, c'est-à-dire par la formation, progressive et négociée, d'une infrastructure de représentation des problèmes et d'exécution des politiques, auparavant inexistantes. La création d'entités nouvelles, comme les milieux aquatiques ou les rivières, exige une série de modifications dans les systèmes bureaucratiques de visualisation, eux-mêmes étroitement liés à la structure d'exécution des politiques ; celles-ci débouchent sur l'engendrement de catégories descriptives et normatives, construisant un cadre de signification partagées.

Par ailleurs, la recherche montre que la nature de ce cadre est étroitement dépendante des configurations préexistantes des réseaux d'action publique locaux, qui varient selon les territoires et selon les politiques de l'eau antérieurement mises-en-place. Ce contexte local oriente le processus de publicisation et conditionne son avancement et sa direction. Lorsque celui-ci aboutit, l'existence de nouvelles entités dotées d'une identité stable est inscrite dans l'ordre naturel, via l'accréditation officielle d'un ensemble de catégories de perceptions et d'action relatives à l'eau. A l'inverse, le statu quo se traduit par le maintien d'une définition floue de ces entités et des effets liés de non-décision.

Sur la base de ces résultats, la thèse met en évidence, au plan théorique, l'utilité d'une approche sociohistorique des politiques publiques, sur le moyen et long terme, qui permet de faire apparaître ces mécanismes, sinon invisibles. Elle souligne également les limitations des grilles ordinaires d'analyse des politiques publiques, où une forme de naturalisme tend à effacer les données matérielles, entités et phénom