Article du Monde « Décines 1980 – Villeurbanne 1981, pour quand un Seveso lyonnais », 14 janvier 1982
Décines 1980 – Villeurbanne 1981, pour quand un Seveso lyonnais
Le 28 octobre 1980 au Centre de recherches de Décines de Rhône-Poulenc Industrie (banlieue lyonnaise), deux morts, deux blessés très graves, venaient à nouveau endeuiller le monde des travailleurs.
Une violente réaction s’était produite dans un appareil de 3000 litres et son contenu très chaud (300 à 400°) et très agressif se déversait sur les victimes.
Dans le même temps, un nuage de produits toxiques se répandait dans le Centre de recherches, incommodant une bonne partie des 700 salariés, et finissant sa course dans la cour de récréation de l’école voisine où les enfants jouaient.
Cette installation était considérée comme la poubelle du Centre de recherches et installée dans une fosse dangereusement exigüe de 20 m2 et de plus de 2 mètres de profondeur qui constituait en fait une véritable souricière dans laquelle ont été surprises les quatre victimes.
Le réacteur dans lequel s’effectuaient tous les jours des réactions chimiques
- - Ne possédait aucune mesure de température
- - N’avait aucune possibilité de refroidissement
Le personnel affecté à l’installation ne possédait aucune formation de chimie. Aucune formation à la sécurité.
On peut s’étonner qu’une telle installation ait pu fonctionner depuis 1969 dans un établissement à hauts risques tant pour le personnel que pour la population environnante, en échappant totalement aux critiques du service des mines, organisme officiel du ministère de l’industrie chargé de contrôler l’application des réglementations qui régissent en France l’outil industriel.
POUR PROTEGER LES TRAVAILLEURS ET LEUR ENVIRONNEMENT DES LOIS ET DES DECRETS ONT EN EFFET ETE PROMULGUES.
La législation issue de la loi du 19 décembre 1917, qui avait instauré un contrôle administratif sur les établissements industriels, a été refondue en 1976 et remplacée par la loi du 19 juillet 1976.
Celle-ci soumet désormais l’exploitation de toute installation d’un même établissement, dans laquelle est exercée une activité réputée dangereuse ou polluante et répertoriée dans une nomenclature officielle, à un régime d’autorisation (pour les activités les plus dangereuses) ou de déclaration préalables.
L’autorisation est délivrée par arrêté préfectoral, qui impose à l’industriel les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts visés par la loi : santé, sécurité, salubrité publiques, environnement, commodité du voisinage.
Si les prescriptions initiales se révèlent insuffisantes, le Préfet peut les rendre plus contraignantes, et même ordonner la fermeture de l’installation.
A lire ces textes, on est en droit de penser qu’une installation autorisée n’est pas susceptible de présenter de graves dangers pour la santé et la sécurité ou l’environnement.
Il n’en est malheureusement pas ainsi.
CE PEUT ÊTRE UN ART D'EVITER LES CONTRAINTES DE CES TEXTES
En l’espèce, l’installation qui nous intéresse a été créée en 1969-1970 pour répondre à un besoin d’élimination de déchets chimiques.
Cette activité étant dangereuse, elle était donc classée en première catégorie. Rhône-Poulenc aurait dû préalablement demander l’autorisation d’édifier et de mettre en service cette installation.
Il ne l’a pas fait.
De plus, Rhône-Poulenc modifie cette installation en 1973, sans à nouveau demander l’autorisation.
Lors de cette modification, l’installation devient très dangereuse car elle est déplacée dans une fosse profonde et exigüe, sans facilité de dégagement rapide pour le personnel et tous les moyens de contrôle habituels des réactions chimiques sont alors supprimés.
Fin 1975, Rhône-Poulenc décide de modifier sa chaufferie et de monter une fabrication de produits très dangereux
Dans le dossier fourni à la préfecture, apparaissent alors comme par enchantement deux ronds sur un plan au 1/200e, ainsi que le mot « destruction » dans les listes des activités dangereuse du Centre de Recherches.
Il n’y a toujours pas de plans détaillés, ni de dossier d’implantation, de réalisation, de fonctionnement, de quantités traitées, etc., bien que la réglementation l’exige (décret 64-303 du 1er avril 1964).
UNE INSTALLATION CLASSEE… AUTORISEE !!!
Il faut rappeler qu’au premier janvier 1980, les caractéristiques de l’installation étaient les suivantes :
- - Un réacteur de 3000 l. agité fermé par des planches en bois (!) raccordé à un stockage aérien de 17m3 situé à moins de 5 mètres ;
- - Il n’y avait ni moyen de connaître la température, ni moyen de refroidir ;
- - Les manipulations de produits caustiques se faisaient manuellement au seau ou à la louche ;
- La fosse n’était pas ventilée, et pourtant les déchets manipulés pouvaient contenir du benzène, des amines aromatiques, tous produits très toxiques dont plusieurs hautement cancérigènes et soumis à réglementation.
EN 1980, CE TYPE D’INSTALLATION NE POSE DE PROBLEME A PERSONNE… ! SAUF AU C.H.S QUI L’A DIT ET REDIT TRES OFFICIELLEMENT A PLUSIEURS REPRISES SANS RESULTATS.
Songeons que si ce jour-là, dans le mélangeur, s’était trouvé des déchets habituels du Centre de Recherches : le pentachlorophénol, le nuage toxique qui est retombé sur l’école voisine aurait pu contenir des dioxines, comme à SEVESO
C’EST POURQUOI IL FALLAIT S’INTERESSER A LA SITUATION ADMINISTRATIVE DE CETTE INSTALLATION
Les textes sur les installations classées sont faits pour que la sécurité soit la meilleure possible. Or, cette installation était un défi à la sécurité.
Pour la Commission d’Enquête mise en place par le C.H.S, deux questions se posaient
- - Les textes légaux étaient-ils appliqués ?
- - Des modifications auraient-elles permis que le drame que nous avons vécu ne restât qu’un simple incident sans morts, sans blessé ?
Nous avons consulté la préfecture du Rhône pour avoir des réponses précises aux questions posées.
Pourtant, à supposer que l’installation ait été régulière :
- - Si les prescriptions étaient suffisantes, quelle protection attendre de la loi et des contrôles de l’administration ?
- - Si les prescriptions étaient insuffisantes, il faudrait alors avoir le courage de le dire.
12 morts depuis 1963 à Rhône-Poulenc (région lyonnaise) – et aucun responsable déclaré de ces accidents.
NOTRE SANTE NOUS APPARTIENT, LUTTONS POUR TRAVAILLER ET VIVRE EN SECURITE
Les industriels ont le devoir d’assurer l’intégrité physique du personnel, même si le profit doit en pâtir.
Le législateur a le devoir d’élaborer des textes assurant une protection efficace, sans possibilité d’être tournés.
Sur ce point, il serait urgent que parmi les intérêts spécialement protégés figurent la santé et la sécurité des travailleurs, principaux intéressés.
L’Administration compétente a le devoir d’assurer la stricte application de la réglementation.
C’est pour rappeler ces principes essentiels et éviter de nouveaux accidents du travail que le Comité d’établissement a rendu public cette affaire et décidé d’engager ses fonds.
TRAVAILLEURS DES INDUSTRIES DANGEREUSES, RIVERAINS DE CES SITES INDUSTRIELS, ELUS,
Sachez que la seule existence de la loi sur les établissements classés ne vous protège pas.
- - Parce que les motivations des industriels sont plus proches du profit que de la sécurité
- - Parce que l’administration compétente qui a le devoir d’en assurer l’application, après 23 ans de pouvoir du grand patronat, est de fait au service de celui-ci et non plus au service des citoyens.
TRAVAILLEURS, RIVERAINS, ELUS,
Vous devez prendre en main votre sécurité, votre qualité de vie.
Exigez auprès des préfets la stricte application de la législation, et, en cas de besoin, l’imposition de prescriptions supplémentaires.
Car, ni l’administration ni la justice, bien qu’elles en aient la charge, ne le feront à votre place !
Comité d’Etablissement de Rhône-Poulenc
Centre de Recherches de Décines
24 avenue Jean-Jaurès, 69150 Décines