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« Quels polluants », article de R. Joumard dans Pollution atmosphérique, 121, janvier-mars 1989

R. JOUMARD, « Quels polluants ? Contribution des transports », p. 5-8 :

- RÉSUMÉ : Les polluants des transports sont présentés selon leurs effets (santé, pluies acides, pollution sensible). On indique ensuite les facteurs d'émission en fonction des paramètres moteur et trafic, avant de présenter la contribution du trafic selon les polluants.
- L'actualité de ces dernières années et de ces derniers mois a vu l'affrontement en Europe des constructeurs automobiles, des écologistes et de plusieurs gouvernements de la CEE à propos des normes d'émissions des voitures particulières: essence sans plomb, pot catalytique, moteur pauvre sont les traductions technologiques des enjeux politiques et économiques de l'environnement et de l'industrie automobile (GEORGIADES et al., 1988). Ces sujets font l'objet de débats publics nationaux et internationaux; dans le domaine de l'automobile où la législation européenne est pourtant ancienne et périodiquement révisée, il s'agit, pour la première fois au sein de la CEE, de débats très politiques et pas seulement techniques. C'est dire combien sont grands les enjeux politiques et économiques.
- I. - LES POLLUANTS DES TRANSPORTS :
- Avant que l'actualité ne s'empare du thème pollution automobile une enquête avait été menée à Marseille et dans sa proche région afin d'évaluer la perception de l'environnement, par la pollution de l'air, par la pollution sensible et par la pollution des transports (JOUMARD et al., 1984). Pour les enquêtés, riverains ou usagers de la voirie, la pollution de l'air et le bruit apparaissent comme les principales nuisances et d'égal niveau. La pollution de l'air était essentiellement due aux transports et parmi ceux-ci les autobus jouaient un rôle primordial à travers odeurs et fumées. La population enquêtée estimait, par ailleurs, que la pollution de l'air avait d'abord des effets sur la santé. En accord avec cette opinion, les polluants automobiles étudiés puis réglementés jusqu'à présent l'ont été essentiellement pour leurs effets nocifs sur la santé publique : le monoxyde de carbone pour ses effets hypoxiques, ou la formation de plaques d'athérome aux faibles teneurs, les oxydes d'azote en tant qu’irritant de l'alvéole pulmonaire, le plomb pour les troubles de comportement chez l'enfant. Seuls les hydrocarbures (totaux) qui sont réglementés, n'ont pas en tant que tels d'effets très nets sur la santé. Cependant, les effets non cancérogènes de ces polluants classiques seront pratiquement annulés à terme avec le durcissement prévu des normes à l'émission. Seuls les effets mutagènes et cancérogènes resteront préoccupants d'une part parce qu’ils sont très mal connus (CHIRON, 1986), notamment en cas d'exposition simultanée, d'autre part parce qu'il n'existe pas, a priori, de seuils. Enfin, leurs émissions pourraient augmenter suite aux évolutions technologiques. De ce point de vue, les polluants à risque sont principalement:
o - les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui sont loin de se réduire au benzo-a-pyrène, qui pourraient replacer le plomb dans les carburants pour augmenter l'indice d'octane et dès lors être sans doute émis en plus grande quantité ;
o - les particules diesels de 0,003 à 10 microns qui, à côté d'effets propres, semblent être des vecteurs d'hydrocarbures cancérogènes ;
o - le formaldéhyde, déjà présent en quantité non négligeable en centre-ville, dont les émissions devraient fortement augmenter en cas d'emploi de méthanol en proportion même faible dans les carburants. Le formaldéhyde est soit un produit de combustion, soit un métabolite du méthanol pur absorbé par voie pulmonaire ou cutanée ou par ingestion. Outre un mutagène c'est un corps extrêmement caustique et agressif pour les muqueuses et, ingéré, il peut amener des troubles oculaires graves.
- Les pluies acides apparues en Europe il y a quelques années, forment une pollution de caractéristiques tout à fait nouvelles : la cible potentielle n'est plus la santé des citadins, mais les arbres, dispersés sur tout le territoire. Les sources ne sont plus locales, mais nationales et européennes, les transferts à longue distance étant essentiels. Les précurseurs semblent aujourd'hui en être les hydrocarbures et les oxydes d'azote et de soufre. Les mécanismes atmosphériques paraissent proches de ceux des brouillards photochimiques, les mécanismes biologiques étant par contre encore mal élucidés. Cette pollution nouvelle incrimine donc une seconde fois les hydrocarbures et oxydes d'azote émis par le trafic automobile mais avec une dimension différente : on doit considérer les émissions intégrées sur des grands territoires. Le dépérissement des forêts improprement appelé pluies acides est maintenant l'une des données essentielles de la pollution de l'air, connue en France du grand public, mais reconnue dans d'autres pays (RFA, Suisse...) comme un défi majeur (ROQUEPLO, 1988). Troisième catégorie de polluants, la pollution sensible, c'est-à-dire odeurs, poussières et salissures a toujours été beaucoup plus perçue par le public que par les spécialistes, et souvent identifiée à la pollution automobile tout court. Les odeurs et fumées sont surtout le fait des diesels : il convient sans doute de s'en préoccuper sérieusement à l'heure où les transports en commun sont prioritaires et ou les petits diesels sont en progression constante. Cette rapide évocation de la place de la pollution de l'air par les transports routiers dans les problèmes d'environnement nous montre quels en sont aujourd'hui les principaux polluants :
o - le monoxyde de carbone CO, traceur de la pollution automobile, très bien étudié mais dont les jours sont comptés ;
o - les oxydes d'azote NO et NO2 dangereux pour la santé et précurseurs des pluies acides ;
o - les hydrocarbures qui, pris dans leur globalité, jouent essentiellement le rôle de précurseurs des pluies acides et dont certains (HAP, aldéhydes notamment) sont très nocifs pour la santé publique ;
o - le plomb dangereux pour le développement psychique des enfants et poison mortel des pots catalytiques actuels, qui va disparaître rapidement des carburants ;
o - les particules émises essentiellement par les moteurs diesels dont les plus grosses sont désagréables (fumées, salissures) et les plus fines fortement suspectées d'être cancérogènes. C'est une classe de polluants encore bien mal étudiée.
- II. - LES FACTEURS D'ÉMISSION
- Vis-à-vis des paramètres moteur les émissions au kilomètre parcouru augmentent avec le régime, légèrement pour HC, moyennement pour CO, et en de très fortes proportions pour les NOx. La richesse du mélange carburé, définie par le rapport de la quantité d'essence et de la quantité d'air introduites dans le moteur à un instant donné, joué un rôle primordial. Lorsque le mélange air-essence est tel que la quantité d'air est juste suffisante pour une combustion complète, le mélange est dit stœchiométrique ; lorsque la quantité d'air est en excès, le mélange est dit « pauvre », quand l'air est en défaut, le mélange est dit « riche ». Théoriquement, la combustion devrait couvrir une plage de richesse comprise entre 0,6 (mélange pauvre) et 1,4-1,5 (mélange riche). En fait, il est difficile d'allumer un mélange dont la richesse est inférieure à 0,8 et cela nécessite des artifices pour augmenter la richesse au point d'allumage par rapport à la richesse moyenne dans le cylindre. Les concentrations en polluants varient de la façon suivante :
o - en mélange riche, la combustion est incomplète par manque d'air, ce qui se traduit par des émissions importantes de CO et de HC ; de plus, la température est relativement basse ce qui n'entraîne pas la formation de fortes quantités de NOx ;
o - en mélange stœchiométrique, la combustion est complète, les émissions de CO et de HC sont donc très faibles ; par contre, la température est très élevée ce qui provoque la formation de fortes quantités de NOx ;
o - en mélange pauvre ou très pauvre, sans artifice de turbulence dans le cylindre, la combustion bien que théoriquement complète risque d'être très difficile, ce qui se traduit par peu de CO mais beaucoup de HC a l'émission, et peu de NOx vu les « basses » températures, à condition d'être en mélange très pauvre.
- Ceci est essentiellement valable pour les moteurs à essence, car pour les moteurs diesels, le processus de combustion est hétérogène, et le terme de « richesse » carburant-air n'a de sens que localement et instantanément. Le paramètre essentiel parmi les paramètres relatifs au trafic, est la vitesse moyenne. Comme le montre la figure 1 les émissions de CO et HC sont fortement décroissantes avec la vitesse (ainsi que la consommation) pour atteindre éventuellement un pallier à 60 km/h, tandis que l'émission de NOx augmente presque linéairement avec la vitesse moyenne. Cependant, la comparaison des émissions sur cycles représentatifs des cinématiques réelles (cycles INRETS) et à vitesse stabilisée ou sur cycle Europe ou tunnel, plus calmes, montre l'importance du facteur accélération. Si l'on étudie l'influence des vitesse et accélération instantanées sur les émissions instantanées, cette influence est très nette (cf. figure 2 pour le NOx). Un second paramètre important est la température initiale du moteur : à départ froid, les émissions de CO, HC et NOx, sont respectivement multipliées par des facteurs de 2,1, 2,5 et 1,05 par rapport au départ chaud. Un troisième paramètre est l'état de réglage du véhicule : un réglage allumage-carburation diminue en moyenne ces mêmes émissions de 24, 14 et 0% (JOUMARD et ANDRE, 1988). Pour les véhicules diesels, à puissance égale, les émissions unitaires sont inférieures d'un facteur 10 pour CO, 3 à 4 pour HC et 2 pour NOx.

- III. - LA CONTRIBUTION DES TRANSPORTS
- Quelle est la contribution des transports routiers à ces différents polluants atmosphériques ? L'industrie, le chauffage, les activités ménagères sont des sources de polluants tout comme les transports routiers. La part des transports routiers est très fluctuante selon les situations ; elle sera à l'évidence plus importante à proximité d'un feu rouge encombré de centre-ville qu'en périphérie industrialisée. Les résultats que nous présentons ci-dessous, issus d'un groupe de travail de la CEE (ERGA, 1983), sont des moyennes qui s'appliquent aux agglomérations :
o - Pour le monoxyde de carbone CO, la contribution du trafic est de plus de 90% en ville dont quelques pour cent dus aux diesels. Sur l'agglomération de Turin, des mesures lors de week-ends sans trafic ont permis d'évaluer cette contribution à 50-70 %. Sur les trottoirs des rues à fort trafic, la contribution est de près de 100 %...
o - Pour les oxydes d'azote NOx, la part du trafic s'élève à 50-70% pour les aires urbaines et généralement à près de 80 % sur les trottoirs (une seule estimation, à Turin par Fiat, est inférieure : 30 %). Les deux tiers proviennent des véhicules à essence, un tiers des diesels.
o - Pour les hydrocarbures HC, les évaluations sont rares. La contribution des transports serait proche de 30 %. Cependant dans les rues, 80% du benzène proviendrait des véhicules. Pour les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) la part du trafic est prépondérante.
- On voit donc que la part des transports est, en ville, toujours très importante, et d'autant plus forte qu'on se rapproche des rues à fort trafic. Au niveau des pays, la part des transports routiers dans les précurseurs des pluies acides n'est pas négligeable. 50 % des NOx émis proviendraient de l'automobile, le reste se partageant à égalité entre les sources biogéniques et naturelles d'une part, les foyers fixes de combustion d'autre part. Sachant par ailleurs que 30 % de l'acidité des précipitations résulte de la présence d'ions azotés sous forme de nitrates, l'impact direct du parc automobile sur l'acidité des pluies serait de 15 %. Toutefois, ces chiffres ne tiennent compte que des oxydes d'azote transformés et incorporés dans les eaux de pluie et ignorent la contribution de ces sources à la formation des oxydants photochimiques qui seraient pour une part importante à l'origine du dépérissement des forêts. Sachant que les hydrocarbures et oxydes d'azote sont les précurseurs des oxydants et sont émis respectivement à 30 et 50 % par le trafic, il est certain que la contribution des transports au dépérissement des forêts s'en trouve augmentée (ELICHEGARAY, 1988) : estimer cette contribution à 20-25 % ne semble pas déraisonnable, dans l'attente d'évaluation scientifique précise. Quant à la pollution sensible, la contribution des transports est importante si l'on considère les réactions de la population, comme nous l’avons indiqué en introduction : près de 45 % des effets précis de la pollution de l'air seraient des effets sensitifs, perçus comme provenant des diesels. D'après des mesures effectuées en zone urbaine, les salissures des bâtiments sont dues aux transports dans une proportion de 70 à 80% (TERRAT, 1987 et 1988).
- IV. – CONCLUSION
- Les transports sont la source de polluants multiples (CO, HC, NOx, odeurs, poussières...), dont actualité se modifie dans le temps : arrivée sur la scène biologique et médiatique des pluies acides, bientôt sur la scène réglementaire des particules diesels. L'influence des paramètres trafic (vitesse, accélération) et moteur (richesse) n'est pas la même d'un polluant à un autre, ce qui demande d'évaluer avec le plus de précision possible toute action envisagée pour faire diminuer les émissions.